Par Morolian le 24/03/2017
En 2012, Satoru Iwata déclarait que les contenus supplémentaires téléchargeables allaient augmenter chez Nintendo, sous couvert de qualité et des joueurs satisfaits de payer pour un travail créatif. Le potentiel lucratif évident d’Animal Crossing New Leaf était mis sur le tapis et aussitôt balayé. Un jeu plus amusant grâce au pouvoir de l’argent ne convenait pas aux principes d’alors (1). Aujourd’hui, les amiibo et les cartes amiibo se sont répandus sur le marché et un nouvel opus d’Animal Crossing est attendu prochainement sur téléphones portables, laissant les joueurs dans l'expectative.
Après les opus Wild World (DS), Let’s go to the City (Wii) et New Leaf (3DS), les fans espéraient un épisode Wii U digne de ce nom. C’était sans compter sur le succès des amiibo et les motivations explicitement assumées de Nintendo d’en tirer profit. Pour se faire, deux spin-off voient le jour en 2015, pensés dans la perspective d’utiliser au mieux les nouvelles figurines et cartes disponibles (2). Animal Crossing : Happy Home Designer centré sur la décoration d’intérieur prend place sur 3DS, alors qu’Animal Crossing : Amiibo Festival (!) apparenté à un jeu de l’oie / Mario Party s’installe sur Wii U. Divers packs sont au programme, fournissant lecteur NFC et amiibo mignons. Si la machine est en marche, elle n’est toutefois pas totalement inédite.
En vérité, Animal Crossing avait déjà fait appel à des achats extérieurs au jeu dans sa version Gamecube. Resté inédit en Europe, le Nintendo e-Reader (un lecteur de cartes dites « e-cards » pour Game Boy Advance) a vu le jour en 2001 au Japon et en 2002 aux USA. Avec plus de 300 cartes estampillées Animal Crossing à collectionner, il était possible de recevoir des objets de la part des habitants scannés, ainsi que des thèmes musicaux pour notre village ou –cerise sur le gâteau- des jeux NES. La plupart de ceux-ci pouvait être obtenu in game grâce à une loterie, sauf Mario Bros et Ice Climber exclusifs aux e-cards (3). Un business en avance sur son temps, faisant écho de manière troublante aux pratiques actuelles.
Si l'anecdotique Amiibo Festival exige l'utilisation d'amiibo pour être joué, Happy Home Designer ne nécessite pas obligatoirement d'acheter autre chose que la simple cartouche de base. Cependant, dans son principe intrinsèque et malgré son statut de spin-off, le glissement est d’ores et déjà palpable. Si Animal Crossing : New Leaf et ses prédécesseurs glorifiaient la patience et le calme (voir premier article), dans Happy Home Designer, l’orgie devient reine. Au revoir le temps réel, adieu la disette, ciao la frustration. Le jeu se construit essentiellement autour de la décoration : notre personnage doit orner maisonnettes et jardins pour chaque habitant qui viendra quémander de l’aide. Une fois la requête acceptée, un lot d’objets associés au demandeur se débloque afin d’agencer selon un thème donné chambres à coucher, vérandas et autre pièces à vivre. Le catalogue gonfle rapidement, surtout qu’il n’y a plus besoin d’attendre un lendemain lointain pour renouveler l’opération. Tous les sets si compliqués à obtenir auparavant déboulent d’un coup dans l’inventaire. Les meubles « négligés » jadis distribués aléatoirement et extrêmement difficiles à se procurer ? Avec un peu de chance et quelques heures de jeu, les voilà frais et propres, admirables sous toutes les coutures. Les collections hors de prix ? Les cadeaux zonés des différents pays du monde ? Le mobilier des îles ? Tout y passe !
Le zéro défi, zéro punition reste immuable, dans l’esprit de la saga.
Les animaux-clients sont éternellement ravis du résultat. Peu importe que l’on passe des heures à bricoler chaque détail ou que l’on balance en vrac un quelconque tapis et une commode. Le zéro défi, zéro punition reste immuable, dans l’esprit de la saga. Mais sans son essence, la naïveté tourne à la mièvrerie. Quant aux cartes amiibo, elles permettent en les scannant d’invoquer à loisir l’habitant représenté. D’abord pour ériger sa demeure, puis pour simplement l’inviter à visiter nos œuvres d’architecture et immortaliser cet instant d’une capture d’écran bien sentie à partager sur le Miiverse ou les réseaux sociaux. Rien de folichon en apparence, sauf si l’on tient à vite vite vite retrouver notre animal fétiche. Plusieurs centaines de villageois attendent votre aide et ils ne sont que quatre à apparaître à la fois, cela peut s’avérer très long. De plus, quelques personnages spéciaux nécessite de posséder leur carte pour qu’ils daignent présenter leur joli minois. Et comme toute collection, une fois le doigt de l'engrenage, difficile de ne pas s'acheter encore un petit paquet pour la route.
Les cartes amiibo rendent bêtement la vie plus facile, accélèrent le mouvement des choses... d'un jeu qui jadis faisait l'apologie de la lenteur.
Pour rentabiliser cette fête à la débauche, Nintendo n’a pas fait les choses à moitié. S’il existe une grosse quinzaine de figurines amiibo Animal Crossing, les cartes sont bien moins frileuses. Pourquoi se contenter des dizaines quand on peut viser les centaines ? Les cartes amiibo sont vendues par pack de trois cartes, pour une somme moyenne de trois à cinq euros (voire plus). Quatre séries de cent cartes chacune ont été commercialisées, auxquelles il faut rajouter cinq cartes hors série, ainsi que cinquante nouvelles cartes parues en 2016 et six cartes en collaboration avec Sanrio, qui trouvent une utilité toute nouvelle dans New Leaf comme nous allons le voir.
A la grande surprise du public, une mise à jour gratuite pour Animal Crossing : New Leaf est donc sortie en novembre 2016, complétée d'une réédition en boîte (mise à jour incluse) pour les nouveaux venus. Une initiative étonnante pour un jeu accusant déjà plusieurs années d'âge. Les innovations sont trop nombreuses pour une liste exhaustive : du simple détail (pouvoir s'asseoir sur les cailloux, le rythme de pousse des bambous) à l'environnement inédit (la Caravanerie) ou la modification de gameplay (repris du système de décoration de Happy Home Designer), etc. Des tâches quotidiennes sont proposées, permettant de gagner des bons de commerce à échanger contre du mobilier jusque là indisponible. Bien évidemment, la principale feature offre une opportuniste compatibilité avec toute la gamme amiibo, figurines et cartes ! Via le scan de figurines, ce sont d'abord des objets qui s'exhibent : comment résister à la collection Splatoon ? Au combo papier-peint/tapis pixelisés de The Legend of Zelda premier du nom ? Inaccessibles sans les amiibo certes, mais un joueur peut généreusement inviter des amis (pauvres) dans son village pour qu'ils en profitent. A contrario, une certaine possibilité ne se partage pas. En scannant la carte d'un animal, il est désormais possible de l'inviter à emménager directement, comme ça, chez soi. Aberration ou (r)évolution, c'est en tout cas toute une philosophie qui prend l'eau. Le trafic d'animaux s'effondre, vendez vite vos actions ! Plus besoin de persévérance pour obtenir les résidents rêvés, l'ouverture du porte-monnaie suffit.
Fort de plus de 30 millions de cartes amiibo vendues dans le monde, Nintendo aurait tort de se priver. Ethique oblige, malgré le chamboulement de morale, cette mise à jour n'oblige aucunement à acquérir quoi que ce soit. Les cartes amiibo rendent bêtement la vie plus facile, accélèrent le mouvement des choses... d'un jeu qui jadis faisait l'apologie de la lenteur. Après Super Mario et Fire Emblem, Animal Crossing sera la prochaine licence Nintendo à s'installer sur smartphones et l'on se demande sous quelle forme il se présentera. Engoncé parmi les micros transactions et les tirages au sort hasardeux, difficile de se revendiquer d'une idéologie candide. Au pire, le village 3DS restera toujours là, en espérant que Robert le chat relax mauve veuille bien rester à côté de son champ de tulipes. Quant à la Switch, il ne reste qu’à patienter pour découvrir dans quelle direction Nintendo décidera de s’orienter. Sans doute pour le pire et le meilleur.
(1) Source de la citation : https://www.nintendo.co.jp/ir/en/library/events/121025qa/03.html
“For example, some might say that it would be unbelievably profitable to provide paid add-on content for "Animal Crossing: New Leaf," but we were concerned that a game in which you enjoy yourself more by the power of money would not be suitable, and we decided to avoid such a feature after an intensive discussion with the development team.”
(2) Source de la citation : http://www.usgamer.net/articles/honestly-we-just-wanted-animal-crossing-amiibo-aya-kyogoku-on-the-genesis-of-amiibo-festival-and-happy-home-designer
“Both Happy Home Designer and Amiibo Festival are spinoffs of the Animal Crossing series, and that's what we're developing them as. One thing that we focused on was, "What kind of game play experience can we create using Amiibo figures and Amiibo cards?"”
(3) Pour l’anecdote, The Legend of Zelda existait en version complète, sauf qu’il n’était accessible qu’en trichant avec un Action Replay.
Par Morolian le 24/03/2017